
Italian [English below]
Su Noema la prima parte del mio testo “L’art au-delà de l’humanisme”, pubblicato nella raccolta di saggi a cura di Hervé Fischer, che ringrazio anche per averlo tradotto in francese, “Art versus Société: l’art doit changer le monde”, M@GM@, vol. 18, n. 3 2020, Aprile 2021. La raccolta è disponibile anche online.
Questo l’abstract
Nous soutenons la légitimité des différentes formes d’art qui s’expriment face aux sociétés de leur temps, même lorsqu’elles les célèbrent. Et dans le monde occidental elles trouvent leur raison d’être dans la différence, qui a toujours été une valeur fondamentale de l’art. Il est difficile de décrire et de comprendre la complexité du monde d’aujourd’hui sans prendre en compte les approches artistiques, car l’art est une sorte de philosophie de la contemporanéité qui permet de comprendre le présent et regarder vers l’avenir. Mais cela exige une recherche artistique consciente, capable de sortir des poncifs traditionnels dans lesquels elle tend à s’enfermer, d’adopter une démarche transdisciplinaire, de dépasser la dimension anthropocentrique obtuse d’un simple reflet de l’être humain. Nous avons besoin d’un art éclairé, capable de prendre en compte aussi ce qui n’est pas humain (l’environnement, les autres espèces…), de se confronter et de dialoguer directement avec la complexité de l’existant, en dépassant des préjugés qui demeurent encore bien ancrés.
Di seguito un breve estratto.
1. L’art comme différence
Si l’on réfléchit bien à toutes les formes d’art, on doit admettre qu’il est légitime qu’elles s’expriment sous une forme ou une autre de contraste face aux sociétés de leur temps, dont elles sont issues, même lorsqu’elles les célèbrent. Cela devient surtout évident à partir du romantisme, lorsque l’artiste s’éloigne de la figure de l’artisan pour exprimer sa propre individualité et son point de vue d’une manière de plus en plus indépendante et retentissante: c’est la nature même de l’art. Même lorsque l’expression artistique est encadrée par des canons académiques stricts, plus ou moins consciemment historicisés, ou limitée par le contrôle économique ou politique, ou enfermée dans les soi-disant « arts officiels », elle tend à se positionner dans un rapport contrasté avec son époque.
De même que l’information – dont il est en fait un sous-ensemble particulier -, l’art dans le monde occidental trouve sa raison d’être dans la différence, dans la « déviation de la norme » : il nous intéresse parce qu’il ne se limite pas à reproduire, mais met en évidence d’une manière plus ou moins « ambiguë et autoréflexive » [1] par rapport aux autres formes symboliques, ce qui est caché, ce qui ne peut être vu, ce qui ne peut être apprécié par les sens, ce qui est au-delà de l’humain, ce qui ne peut être qu’imaginé, ce qui est idéal ou inaccessible (avec toutes les implications du « sublime »), etc. L’art étonne donc, au sens étymologique d’étonner, de stupéfier, d’étourdir, parce qu’il projette cette différence, cette fêlure, cette altérité sur la normalité.
Redécouvrir, reconnaître et valoriser la différence a toujours été un fondement de l’art, qui s’exprime idéalement, souvent consciemment et ouvertement, contre l’idée d’une réalité homogène et indifférenciée (sans différences). L’art a toujours été idéalement, et souvent consciemment et ouvertement, opposé à l’idée d’une réalité homogène et indifférenciée (sans différences), jouant en fait un rôle plus important que le rôle symbolique, esthétique et social qui lui est communément attribué.
Dans un merveilleux scénario de « convergence culturelle », l’art contribue à montrer, de manière claire et évidente, ce que d’autres disciplines dans différents domaines ont aussi souligné : le moteur de l’existant n’est pas l’« égal » mais le « différent », la différence. Il en est ainsi de l’information, de la culture, de la créativité, de la sexualité, de la biologie, de la génétique et, plus largement que la dimension humaine, de l’évolution. Il s’ensuit qu’en fondant sa recherche sur la différence, l’art prend inévitablement une importance sociale et politique cruciale. En d’autres termes, le « nouveau », l’innovation, éléments inséparables de la création artistique, ne résident pas dans la fiction brillante et persuasive de la consommation de masse, dans le pouvoir de contrôle des médias et de la technologie, dans les miracles de l’économie de la répétition, dans une exégèse triomphante de l’égal, dans l’obsession de l’idée de progrès, comme le voudrait la vulgate contemporaine. Le « nouveau » réside dans les territoires incertains et rudes des contaminations, des transformations, des exceptions, des révolutions et c’est là qu’il y a la plus grande probabilité de genèse du nouveau, car le nouveau naît toujours d’une certaine lacération, d’une certaine rupture d’équilibre, d’une certaine discontinuité. Dans le domaine purement humain, le « nouveau » émerge des contradictions, de l’inattendu, de la rupture des règles, de la marginalité, de la désolation… Le nouveau, en bref, ne naît pas de l’égal mais du différent, de la différence.
Dans le monde contemporain, la différence est fondamentale pour s’imaginer dans le présent et pour se projeter dans l’avenir avec une conscience plus globale et en même temps locale, générale et contingente, cultivée et collaborative, attentive à l’altérité et à la diversité. L’art est un indice qui pointe vers un monde possible et différent, tout en montrant et en stigmatisant les limites – égoïsme, opacité, insuffisance, misère… – de l’anthropocentrisme.
[…]
1) Roman Jakobson, “Linguistica e Poetica”, in Saggi di linguistica generale, Milan, Feltrinelli, 1963.
On Noema the first part of my text “L’art au-delà de l’humanisme”, published in the collection of essays edited by Hervé Fischer, that I also thank for the translation into French, “Art versus Société: dell’arte doit changer le monde”, M@GM@, vol. 18, n. 3 2020, April 2021. The collection is also available online.
The abstract
Nous soutenons la légitimité des différentes formes d’art qui s’expriment face aux sociétés de leur temps, même lorsqu’elles les célèbrent. Et dans le monde occidental elles trouvent leur raison d’être dans la différence, qui a toujours été une valeur fondamentale de l’art. Il est difficile de décrire et de comprendre la complexité du monde d’aujourd’hui sans prendre en compte les approches artistiques, car l’art est une sorte de philosophie de la contemporanéité qui permet de comprendre le présent et regarder vers l’avenir. Mais cela exige une recherche artistique consciente, capable de sortir des poncifs traditionnels dans lesquels elle tend à s’enfermer, d’adopter une démarche transdisciplinaire, de dépasser la dimension anthropocentrique obtuse d’un simple reflet de l’être humain. Nous avons besoin d’un art éclairé, capable de prendre en compte aussi ce qui n’est pas humain (l’environnement, les autres espèces…), de se confronter et de dialoguer directement avec la complexité de l’existant, en dépassant des préjugés qui demeurent encore bien ancrés.
Below a short excerpt.
1. L’art comme différence
Si l’on réfléchit bien à toutes les formes d’art, on doit admettre qu’il est légitime qu’elles s’expriment sous une forme ou une autre de contraste face aux sociétés de leur temps, dont elles sont issues, même lorsqu’elles les célèbrent. Cela devient surtout évident à partir du romantisme, lorsque l’artiste s’éloigne de la figure de l’artisan pour exprimer sa propre individualité et son point de vue d’une manière de plus en plus indépendante et retentissante: c’est la nature même de l’art. Même lorsque l’expression artistique est encadrée par des canons académiques stricts, plus ou moins consciemment historicisés, ou limitée par le contrôle économique ou politique, ou enfermée dans les soi-disant « arts officiels », elle tend à se positionner dans un rapport contrasté avec son époque.
De même que l’information – dont il est en fait un sous-ensemble particulier -, l’art dans le monde occidental trouve sa raison d’être dans la différence, dans la « déviation de la norme » : il nous intéresse parce qu’il ne se limite pas à reproduire, mais met en évidence d’une manière plus ou moins « ambiguë et autoréflexive » [1] par rapport aux autres formes symboliques, ce qui est caché, ce qui ne peut être vu, ce qui ne peut être apprécié par les sens, ce qui est au-delà de l’humain, ce qui ne peut être qu’imaginé, ce qui est idéal ou inaccessible (avec toutes les implications du « sublime »), etc. L’art étonne donc, au sens étymologique d’étonner, de stupéfier, d’étourdir, parce qu’il projette cette différence, cette fêlure, cette altérité sur la normalité.
Redécouvrir, reconnaître et valoriser la différence a toujours été un fondement de l’art, qui s’exprime idéalement, souvent consciemment et ouvertement, contre l’idée d’une réalité homogène et indifférenciée (sans différences). L’art a toujours été idéalement, et souvent consciemment et ouvertement, opposé à l’idée d’une réalité homogène et indifférenciée (sans différences), jouant en fait un rôle plus important que le rôle symbolique, esthétique et social qui lui est communément attribué.
Dans un merveilleux scénario de « convergence culturelle », l’art contribue à montrer, de manière claire et évidente, ce que d’autres disciplines dans différents domaines ont aussi souligné : le moteur de l’existant n’est pas l’« égal » mais le « différent », la différence. Il en est ainsi de l’information, de la culture, de la créativité, de la sexualité, de la biologie, de la génétique et, plus largement que la dimension humaine, de l’évolution. Il s’ensuit qu’en fondant sa recherche sur la différence, l’art prend inévitablement une importance sociale et politique cruciale. En d’autres termes, le « nouveau », l’innovation, éléments inséparables de la création artistique, ne résident pas dans la fiction brillante et persuasive de la consommation de masse, dans le pouvoir de contrôle des médias et de la technologie, dans les miracles de l’économie de la répétition, dans une exégèse triomphante de l’égal, dans l’obsession de l’idée de progrès, comme le voudrait la vulgate contemporaine. Le « nouveau » réside dans les territoires incertains et rudes des contaminations, des transformations, des exceptions, des révolutions et c’est là qu’il y a la plus grande probabilité de genèse du nouveau, car le nouveau naît toujours d’une certaine lacération, d’une certaine rupture d’équilibre, d’une certaine discontinuité. Dans le domaine purement humain, le « nouveau » émerge des contradictions, de l’inattendu, de la rupture des règles, de la marginalité, de la désolation… Le nouveau, en bref, ne naît pas de l’égal mais du différent, de la différence.
Dans le monde contemporain, la différence est fondamentale pour s’imaginer dans le présent et pour se projeter dans l’avenir avec une conscience plus globale et en même temps locale, générale et contingente, cultivée et collaborative, attentive à l’altérité et à la diversité. L’art est un indice qui pointe vers un monde possible et différent, tout en montrant et en stigmatisant les limites – égoïsme, opacité, insuffisance, misère… – de l’anthropocentrisme.
[…]
1) Roman Jakobson, “Linguistica e Poetica”, in Saggi di linguistica generale, Milan, Feltrinelli, 1963.